Jiyana Tassin, 26.10.2020
Du 20 au 25 septembre s’est déroulée à Berne la semaine de désobéissance civile Rise Up For Change. On a voulu en savoir plus sur les raisons et motivations d’une telle action. L’interview de Véronique, une des participantes de la semaine.
Pourrais-tu m’expliquer en quelques mots ce qu’est XR (ndlr. Extinction Rebellion) ?
Extinction Rebellion est mouvement citoyen international, crée en 2018, qui utilise la désobéissance civile non violente pour faire passer plusieurs revendications. Dans un premier temps, nous devons absolument atteindre la neutralité carbone d’ici 2025. Ce n’est pas nous qui le disons, XR ne fait que reporter la voix, malheureusement peu audible, des scientifiques.
Pour que la population comprenne réellement les enjeux, les Etats et les médias doivent dire la vérité sur l’urgence climatique mais surtout sur les conséquences du réchauffement climatique qui vont être catastrophiques. Et de là, des assemblées citoyennes doivent être mise en place afin de régler cette urgence d’une manière démocratique.
De plus, 10 principes et valeurs basés sur la bienveillance sont la colonne vertébrale du mouvement.
Quel est ton rôle au sein de l’organisation ?
Je n’ai pas vraiment de rôle précis. On fonctionne en groupes de travail, en gouvernance horizontale. J’étais dernièrement engagée au sein de différents GT (ndlr. Groupe de travail) comme par exemple le GT Art et Matériel. Mais, si j’avais à me définir, je me décrirais comme une messagère entre un groupe local et d’autres structures. Chez XR, chacun a la possibilité de s’engager en fonction de son temps ainsi que de ses capacités ou de ses envies. Je travaille moi-même en tant qu’enseignante mais dégage de plus en plus de temps pour la cause, notamment en ayant réduit mon temps de travail ou encore en m’investissant dans une coopérative d’habitat léger dans laquelle je vivrai avec mon fils (ndlr. Habitat dans lequel on s’engage d’une façon innovative pour le développement durable du territoire, fonctionnement d'énergie en cycle fermé et qui favorise aussi les liens sociaux).
Quel a été le déclic de ton engagement chez XR ?
Ils ont été multiples ! Je ressentais une forme de culpabilité lorsque je me questionnais sur ma part de responsabilité face à la crise climatique. A un certain moment, je ne lisais même plus les médias… Puis j’ai suivi une formation d’une semaine au Schumacher College dont je suis revenue en me disant « act now » ! Il fallait que j’accepte et reconnaisse mes émotions pour pouvoir agir.
Pourquoi t’être engagée chez XR et pas ailleurs ?
C’était pour moi l’organisation la plus complète. Ils étaient les seuls à proposer la solution des assemblées citoyennes et de la culture régénératrice (ndlr. Le fait de prendre soin de soi et des autres). Extinction Rebellion tend à dénoncer tout ce qui ne fonctionne pas au sein de la société moderne, tout en restant bienveillant, inclusif et non-violent. Même s’il faut passer par des actions de désobéissance civile pour y parvenir. Toute personne souhaitant s’engager dans ce mouvement se doit d’accepter nos 10 principes et valeurs, qui reposent grandement sur la bienveillance et le respect. Nous acceptons tout le monde et personne n’est blâmé.
Pourquoi, à ton avis, de moins en moins de jeunes s’intéressent à la politique ?
Ça dépend ce qu’on entend par « politique ». Tout est politique. Mais je pense que le système actuel est désuet face à l’urgence climatique. Les institutions étatiques, qui devaient nous protéger, ont échoué. Et il en va de même des débats que l’on observe ou lit dans les médias. Ils sont sur le mode du conflit : les idées s’affrontent au lieu de se nourrir. On a de la peine, en tant qu’individu, à saisir les enjeux et les dangers encourus en l’absence de transparence entre le gouvernement et ses citoyens.
Parlons maintenant de la semaine Rise Up For Change. Est-ce que tu peux m’expliquer ce que c’était ?
Il s’agit d’un collectif formé de quatre mouvements (Collective Climate Justice, la Grève du Climat, Extinction Rébellion et le Collectif BreakFree) qui souhaitait, à travers une semaine de désobéissance civile, envoyer un message clair aux parlementaires : nous voulons la justice climatique ainsi que des émissions nettes de CO2 à 0 d’ici 2030.
Est-ce qu’à ton avis des actions telle que la semaine Rise Up For Change sont complémentaires avec la politique ?
Oui et ça devrait l’être. On ne doit pas se tirer des bâtons dans les roues. Pendant la semaine Rise Up For Change, nous avons ouvert le dialogue avec quiconque souhaitait comprendre la raison de notre présence.
Peux-tu nous citer quelques activités que vous aviez organisées ?
Un programme tout public avait été annoncé à l’avance et l’autre, par sa nature, se devait être confidentiel afin de mener à bien notre message. Chaque jour, des assemblées du climat étaient mises en place et des conférences étaient également organisées dans le but d’initier le débat entre les visiteurs et les activistes. Du jardinage et du yoga, pour nous apprendre à prendre soin de la terre et de nous-même, ont aussi vu le jour. D’un point de vue illégal avaient lieu chaque jour des actions de désobéissance civile. L’idée était que chaque jour, en marge du camp mis en place, aient lieu des actions afin de mettre en lumière les agissements néfastes et écocidaires de certains acteurs du système.
Quelles étaient vos revendications ?
Justice climatique et émissions de CO2 nettes à 0 d’ici 2030. Chaque parlementaire avait reçu un papier, rédigé par le GT politique, avec des revendications sur les thèmes de la démocratie, des finances, de l’agriculture, de l’énergie et de la justice climatique[1]. Trop souvent absents des questions écologiques, ces cinq secteurs étaient résumés en plusieurs mesures très concrètes et soulignaient ainsi que seule manquait la volonté politique au changement.
Combien de militants ont participé à cette action ?
A la grande plénière avant l’action, nous étions environ 400 et il manquait plusieurs personnes. Ensuite beaucoup de visiteurs-euses et sympathisants-es sont venus s’ajouter.
Finalement, quand la police nous a délogé, environ 84 personnes se sont fait arrêtées et 150 se sont uniquement fait contrôler. Une plainte va été posée contre plus de 120 personnes.
Combien de temps a nécessité l’organisation d’une telle action ?
Ça a été très rapide ! L’idée a émergé en avril puis c’est à mi-juillet que l’organisation s’est vraiment mise en place. Il aura donc fallu environ deux mois.
Vous avez été délogés vers 3h du matin la nuit du mardi. Comment cela s’est-il passé ?
Je pense que le fait de nous avoir délogés de nuit montre bien le malaise ressenti par l’Etat qui est bien conscient de son inaction face à la crise climatique. Agir à ce moment-là a permis aux forces de l’ordre d’avoir recours à des actes illégaux tels que des clés de bras ou encore le fait de nous mentir sur les arrestations. En dehors de ces points-ci, aucune grosse bavure n’a pu être observée. Au contraire de la manifestation des demandeurs d’asiles qui a eu lieu en parallèle et qui a clairement souligné les différences de traitements que la police suisse pratique.
Avec un peu de recul maintenant. Quel en est le bilan ?
Cette semaine a rendu la désobéissance civile légitime et, par la même occasion, a mis en lumière la gravité de la crise. En Suisse lorsqu’on parle de répression, l’Etat ne se sent pas véritablement menacé. Je crois qu’il ne s’attendait pas du tout à quelque chose de cette envergure. Nous avons montré jusqu’où nous étions capables d’aller. Notre but ultime (de rester une semaine) n’a certes pas été atteint mais l’objectif de la désobéissance civile est avant tout de mettre son adversaire dans une position inconfortable. Or le Parlement n’avait jamais vécu de débats si intenses, émotionnellement parlant. De plus, l’action directe est très nouvelle pour notre pays car il faut admettre que nous ne sommes pas un peuple révolutionnaire ! Ça bouscule l’image si parfaite de la Suisse au niveau international et c’est, à mon avis, une très bonne chose.
Un moment fort de la semaine ?
Pendant la semaine, quelques parlementaires sont descendus dans notre arène pour nous remercier et nous dire l’impact que ces quelques jours avaient eu sur les décisions lors de la session. En réponse à cette action, le Parlement a également reçu de nombreuses lettres de soutien dont une du plus grand syndicat du monde (CUT).
Une pétition pour garder les activistes sur la place a aussi été lancée par Campax. Et en seulement 24 heures, elle a été signée par 16 000 personnes !
De quelles manières est-ce que le confinement a compliqué l’organisation de la semaine ?
La mobilisation était bien plus complexe car beaucoup de militants ont mis leur activisme en pause durant la crise. Mais ce temps nous a permis une grosse remise en question sur la forme, et non sur le fond, de nos actions.
Lors de Rise Up For Change, nous avions un GT santé qui s’est chargé de la partie sanitaire et qui a mis en place un plan de protection. Et ça a bien fonctionné puisque personne n’a été atteint par le virus !
Existe-t-il un bénéfice pour le climat dans la crise actuelle ?
Oui, car nous n’avons plus d’autre choix que d’agir maintenant. Beaucoup de gens ont remis en question leurs valeurs et besoins. Et la corrélation entre le réchauffement climatique et le virus ne fait aujourd’hui plus de doute.
Malgré tout, nous sommes dans une situation de menace sans précédent et beaucoup de décisions nouvellement prises ne remettent aucunement en question notre système et les valeurs fondamentales de la vie (et de la mort !). On ne remet pas en question le fond. Le monde de la finance et le politique restent aveugles face aux véritables problèmes humanitaires.
Et la suite ? Quels sont vos prochains événements ?
Du côté de Extinction Rebellion, nous allons continuer à agir pour la mise en place de nos trois revendications dont une, est de mettre en place ces assemblées citoyennes. Afin que la population prenne conscience des agissements de certaines entreprises écocidaires et sache les agissements de ces dernières, une action, annoncée publiquement, est prévue le 13 novembre. En parallèle, on continue à repenser notre stratégie et à activer autant de « déclics » possibles au sein de la population. Rien ne peut nous empêcher d’agir car nous n’avons tout simplement plus d’autre choix.
[1] Papier du GT Politique : https://docs.google.com/document/d/1Izsd1SOLVAogFkl-weFQaduGThnSR1-8AKTjLEr8b80/edit
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